Le climat relativement froid de janvier ne nous a pas empêché de nous réunir pour entendre et exprimer nos attentes par rapport au projet.
Plusieurs personnes ont parlé de pouvoir de langage, des termes et des concepts issus des sphères universitaires intégrés dans nos discussions quotidiennes. Il était difficile de savoir si les termes utilisés n’étaient pas nouveaux pour les interlocuteur.ice.s. Personne ne connaissait leur sens exact. Comment alors les définir avec nos propres mots?
Faisant appel à nos propres expériences, lectures et imaginaires, nous les comprenons chacun.e à notre manière. Qu’est‐ce que l’intersectionnalité ? Qu’est-ce le féminisme essentialiste ou queer ? Les mots valises comme cyber‐féminisme et éco‐féminisme d’où viennent ils ? Qu’est-ce qu’on veut dire par la mixité choisie ?comprenons chacun.e à notre manière.
Nous avons rêvé de moments en mixité choisie pour lire et échanger nos idées. Pour Nanara, la mixité choisie se traduit par des rencontres entre les personnes touchées par les multiples dissymétries produites par les sociétés patriarcales. Les femmes, les lesbiennes, les trans, les inter-sexes, les personnes non-binaires et toutes les personnes qui ont besoin de partager autour des pensées et des écrits féministes. Les contours de cette définition restent souples et sont constamment rediscutés. La démultiplication des débats sur la discrimination de la catégorie sociale des « hommes cis » dans certains espaces politiques ne fait pas partie de nos préoccupations.
Le but de nos rencontres est plutôt de partir de nos identités multiples, nos parcours et nos visions du monde. Le groupe n’est pas homogène et n’est pas constant, pour laisser ainsi la possibilité de s’approprier un espace pour aborder les différents sujets concernant le genre et le sexe.
Pendant une première permanence, par exemple, nous avons lu des textes sur la jinéologie. Logie comme science et jin en kurde signifie femme, donc une science développée par les femmes kurdes pour la libération des femmes. Nous avons proposé ces lectures pour aborder les thématiques autour du patriarcat et du colonialisme. Aussi pour échanger nos critiques autour de l’essentialisme dans sa complexité. Les récits sur les luttes menées par les femmes révolutionnaires kurdes nous fascinent et intriguent. A l’échelle mondiale, ces résistances sont une bouffé d’air pour beaucoup de femmes en lutte et donnent du courage pour les révolutions à venir. Nous lisions des textes, chacune notre tour. Ensuite nous revenions sur les passages qui nous interrogeaient. Lors des échanges nous nous sommes rendu compte des différentes interprétations possibles des textes. En effet, la difficulté à saisir certaines subtilités
sans se plonger dans l’histoire sociale, politique et culturelle kurde proposait de nouveaux horizons à explorer. Certaines d’entre nous ont eu la chance de participer aux rencontres féministes internationales à Francfort en octobre 2018 et étaient attachées à ces lectures qui donnaient l’occasion de partager cette expérience.
Une autre fois, nous avons joué au jeu « Femmes de l’histoire » des Éditions Libre, pour parler des figures exclues des romans nationaux. Nous avons découvert des femmes, approfondi des connaissances sur d’autres et beaucoup ri. Sans faire l’éloge de la femme remarquable, nous avons pu nous créer d’autres modèles, nous raconter d’autres histoires et possibles que ceux enseignés à l’école.
Lors d’une permanence suivante, nous avons chacune bouquiné dans notre coin. Certaines lisaient des BDs, d’autres une revue. Celles qui en avaient envie ont lu des extraits de leurs ouvrages à voix haute pour en faire profiter les autres. Le texte sur la joie de vivre du dernier Timult, nous a beaucoup touché. Dans des moments de déception, de surmenage, de doute, ce texte donne de nouvelles perspectives joyeuses de luttes et d’actions collectives possibles.
Ces moments ne sont pas des formes de réunion, ni de conférence. Chacune peut apporter un sujet, un texte, des questions et des idées pour alimenter l’échange. Nous aspirons à une bibliothèque où l’on trouve des textes universitaires, militants, des récits des expériences vécues ou encore des livres pour enfants sans hiérarchiser les
savoirs, ni mettre en concurrence les individu.e.s.
Nous ne nous limitons pas à la culture institutionnelle notre féminisme est aussi la mémoire de nos expériences, de nos échanges et de notre curiosité.